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«La génération internet est plus intelligente»

Don Tapscott «La génération internet est plus intelligente»

Par Sonia Arnal

Ils sont nés connectés, avec un joystick et une souris dans la main, et sont notamment capables de «chatter» en même temps qu’ils font leurs devoirs. Les enfants de l’internet sont aussi plus malins et plus éthiques que leurs parents.

Incultes, violents, incapables de se concentrer plus de deux minutes, asociaux, narcissiques, indifférents à la marche du monde, paresseux. C’est en ces termes que beaucoup d’adultes, qu’ils soient parents, enseignants ou journalistes, décrivent la génération internet, dite aussi génération Y (L’Hebdo du 20 novembre). Grave erreur, estime Don Tapscott, spécialiste des nouvelles technologies et de leurs conséquences sur l’économie et la société. Pour lui, personne n’a jamais été aussi soucieux d’éthique, de collaboration, de solidarité, ni aussi pourvu d’intelligence et de ressources que les jeunes nés depuis 1980.

Vous dites que l’internet, et plus particulièrement le web 2.0, a changé fondamentalement ce que sont les jeunes. Pourquoi?
Ce que vous faites, ce à quoi vous consacrez votre temps entre l’âge de 8 et 20 ans, a une influence sur ce que vous êtes. Je suis un baby-boomer et je suis resté des heures assis passivement devant la TV, comme toute ma génération. Cela a eu une influence sur ce que nous sommes devenus, mais aussi sur la façon dont la politique et la société tout entière ont évolué.

Concrètement, qu’est-ce qu’ils ont de différent?
Leur cerveau, d’abord. Des études ont montré que leurs facultés visuelles et de représentation dans l’espace ont évolué. C’est dû aux heures passées devant les consoles de jeux à percevoir tout ce qui se produit sur l’écran et à interagir avec cela. On parle aussi souvent de leur capacité à faire toutes sortes d’activités en même temps: chatter, regarder la télé d’un œil, surfer et faire leur devoir de sciences, le tout en même temps. Ils sont meilleurs dans le passage fréquent et rapide d’une activité à une autre. Ils ont en outre développé leur sens de la stratégie, leurs talents organisationnels et de leadership avec des jeux online de type World of Warcraft. Et ils se concentrent aussi facilement que nous: ils peuvent rester trois heures sur une mission délicate quand ils jouent en ligne, sans décrocher une seconde.

Sont-ils plus intelligents pour autant?
Oui, le QI moyen a augmenté de 3 points tous les dix ans depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et jamais les jeunes n’ont été aussi nombreux à se former à l’université. Le CEO de Deloitte, l’une des quatre plus grandes boîtes d’audit, me disait récemment que les employés de cette génération sont plus productifs que tous ceux qu’il a connus jusqu’ici. Et, pour être considéré comme performant chez Deloitte, vous ne pouvez pas être médiocre, paresseux ou distrait...

Les adultes s’inquiètent pourtant de toutes ces heures passées derrière l’ordinateur – il semble que les enfants, notamment les plus jeunes, passent moins de temps à jouer dehors, ce qui, à terme, pourrait avoir des conséquences aussi sur le cerveau, notamment pour tout ce qui concerne la coordination...
C’est encore un mythe: le temps occupé par les consoles ou l’internet est du temps pris à la télé, que ma génération regardait en moyenne plus de vingt heures par semaine. Eux ne la regardent quasiment plus, en tout cas plus de façon exclusive, assis à ne rien faire d’autre. Et les plages horaires destinées aux activités extrascolaires, au sport, n’ont pas diminué.

Vous voyez des changements positifs dans les relations entre ces jeunes. Sont-ils vraiment moins individualistes?
Des outils de partage des connaissances comme Wikipédia changent forcément le rapport que vous avez aux autres, au travail et quelque part à la propriété intellectuelle. Cette encyclopédie est bien plus riche que Britannica, mais elle est gratuite et est constamment bâtie par vous, moi, tout le monde. Les jeunes sont comme ça dans tous les domaines: vous avez un problème? Vous posez une question sur un forum, quelqu’un dans le monde là-dehors connaît forcément la réponse et va vous la donner gratuitement. Pareil pour les études, les examens. Les écoliers ne travaillent plus chacun dans son coin, ils ne prônent pas la compétition et la concurrence, mais misent sur la collaboration: ils mettent leurs travaux à disposition des camarades, qui s’en inspirent, les transforment, les développent.

L’école n’utilise pas tellement ce type de ressources...
Non, mais il serait pourtant urgent de la réformer: aux USA, un tiers des étudiants s’en tire vraiment bien. Ils sont plus intelligents et brillants que nous l’étions. Un tiers se débrouille. Le dernier tiers en revanche est en échec et abandonne avant la fin de sa formation.

Vous pensez que les jeunes nés avec le web auraient besoin d’une pédagogie différente?
C’est évident. Les enseignants se plaignent de leurs élèves, mais l’école n’a pas évolué depuis sa création: vous avez un prof qui sait et qui déverse sa science dans l’oreille des enfants. Ce modèle n’est plus adapté à la façon dont fonctionnent des gens qui ont grandi connectés. Le monde du travail non plus, d’ailleurs.

Qu’est-ce qu’il faudrait changer dans ces deux domaines?
En tout cas, tenir compte de normes essentielles à la génération internet dans tout ce qu’elle fait, et qui la caractérisent: la liberté, par exemple de choisir ses branches d’étude, la personnalisation, ce qui implique au travail de pouvoir définir le cahier des charges de son poste comme ses horaires, ou à l’école de suivre son propre programme, l’intégrité, la collaboration, la vitesse – rien de pire pour elle que de proposer un projet et devoir remplir douze formulaires, voir cinq chefs de service et attendre six mois pour avoir une réponse – l’innovation (travailler sur un nouveau projet la motive toujours), le divertissement: on peut apprendre beaucoup par le jeu et, comme elle est sensible à tout ce qui est ludique, c’est un outil formidable pour les profs.


Nous avons, nous aussi, un ordinateur que nous savons allumer tout seuls, un iPod ou un iPhone, que nous sommes parfaitement capables d’utiliser. Est-ce que vous n’exagérez pas le fossé qui nous sépare de nos enfants en les dépeignant comme des pros de l’informatique et nous comme des technophobes patauds?
Bien sûr que nous possédons les mêmes outils. Mais vous faites quoi avec votre téléphone? Vous téléphonez. Eux non. Ils s’envoient des SMS et font des photos de leurs soirées qu’ils mettent ensuite sur Facebook. Et avec l’internet? Vous, vous vérifiez des horaires ou quelques sites; bref, vous consommez. Eux créent du contenu, en tenant des blogs, en donnant leur avis sur des biens de consommation ou leurs vacances, en alimentant les réseaux sociaux. Accessoirement, ils ont aussi élu leur premier président par ce biais, en faisant campagne pour Obama. Ce qui prouve en outre qu’ils s’intéressent à la politique et se préoccupent du monde qui les entourent.

Vous soulignez leur souci écologique, leur intégrité. Mais tous sont de grands consommateurs de gadgets technologiques – ils n’ont pas tellement de scrupules à changer de téléphone ou d’ordinateur bien avant la mort du produit...
C’est vrai, c’est une contradiction, et ce n’est pas la seule. Je ne suis pas en train de dire que c’est une génération parfaite. Je dis juste qu’elle a de nombreuses qualités à un moment où tout le monde se plaît à ne lui en reconnaître aucune.

Quid des enfants qui n’ont pas les moyens d’avoir un ordinateur et une connexion à haut débit?
C’est un vrai problème; la fracture numérique risque de leur coûter très cher. C’est pourquoi le projet «un enfant = un laptop», avec l’ordinateur à 100 dollars conçu par Negroponte est fondamental.


Grown up digital – How the net generation is changing your world. McGraw Hill, 2009, 368 p.
Wikinomics – Wikipédia, Linux, You Tube… Comment l’intelligence collaborative bouleverse l’économie. Pearson Education, 2007, 364 p.

 

http://www.hebdo.ch/edition/2008-52/mieux_comprendre/societe/don_tapscott_la_generation_internet_est_plus_intelligente.htm

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