En ces temps de fortes turbulences économiques, durant lesquelles les perceptions des différents publics des entreprises (internes et externes) sont plus que jamais soigneusement étudiées, couper les dépenses de communication est très souvent un réflexe immédiat pour bon nombre d’entreprises. Et bien entendu toutes les opérations de communication regroupées sous l’ombrelle - très large – de « communication événementielle » se situent au premier rang de ces coupes immédiates. Ce qui, nous allons le voir, constitue un vrai paradoxe qu’il nous semble intéressant d’analyser.
En effet, quand on examine de plus près ce mouvement de repli (sur soi), il s’agit la plupart du temps pour l’entreprise, moins d’économiser de l’argent, que d’envoyer des signaux clairs tant à l’interne qu’à l’externe, afin de montrer que l’entreprise est capable de « se serrer la ceinture » et donc de faire l’économie d’opérations susceptibles d’être jugées, par ses différents publics et par la société dans son ensemble, comme non indispensables voire superflues.
Nous sommes donc confrontés, mutuellement, à ce paradoxe : l’entreprise choisit de ne pas communiquer pour envoyer à son environnement… un message de gestion responsable de la crise.
En d’autres termes, on coupe la communication pour … communiquer, mais par défaut. Le silence, ou au moins la retenue, est ainsi élevé, dans ce contexte, au rang d’outil de communication et de modification des perceptions.
Alors que nous entamons mondialement, la traversée complexe et sans doute très chahutée, d’une crise dont personne ne mesure encore l’ampleur ni la durée, il nous semble important de réfléchir ensemble sur la posture à adopter durant cette période compliquée et, à bien des égards, exceptionnelle.
Cette crise représente en premier lieu, pour des entreprises comme la nôtre, une opportunité de nous reposer la question de notre impact réel sur la vie, le business, le climat interne, la capacité de séduction et de réassurance des entreprises faisant appel à nos services et à nos savoirs faire. De la même manière, ce contexte exceptionnel doit pousser ces dernières à se questionner sur la manière dont elles doivent conjuguer gestion prudente de la période et préservation (voire resserrement) des « liens » avec leurs collaborateurs, partenaires et clients.
Il est clair que dans la « nébuleuse » événementielle, les opérations de communication revêtent indiscutablement des degrés d’importance différents, notamment d’un point de vue stratégique. Une réunion nationale de fusion ou de mobilisation des équipes face aux défis que l’environnement leur impose n’a, par exemple, en effet rien de comparable avec un événement d’image
Dans le contexte actuel, plus que dans tout autre, la mesure (pour ne pas dire la sagesse), est évidemment l’une des clés.
Pour autant si le repli sur soi et la discrétion semblent légitimes dans un environnement à l’affût des moindres signaux de gestion discutable de la crise, il est cependant important de ne pas se tromper de stratégie : le silence radical pouvant, quant à lui, très vite devenir une source d’inquiétude réelle tant pour les équipes internes de l’entreprise que pour ses partenaires et clients. Nous savons tous la propension de l’être humain, en absence de communication, à se créer ses propres histoires. Et ces histoires sont rarement optimistes…
Dans son livre « Story Telling », Christian Salmon chercheur au CNRS rappelle les effets pervers de ce qu’il appelle « la spirale du silence ».
« … Le silence est associé à différentes qualités, la modestie, le respect des autres, la prudence, le savoir-vivre. En raison de règles de bienséance profondément enracinées, les gens (et les entreprises) se taisent pour éviter les ennuis, les conflits et d’autres dangers perçus. Les vertus sociales du silence sont renforcées par nos instincts de survie… ». Plus loin dans son ouvrage, l’auteur rappelle aussi que « … le silence peut avoir un coût psychologique énorme sur les individus, créant des sentiments de frustration, de colère rentrée et de ressentiment, qui contaminent les interactions, étouffent la créativité et minent la productivité… ».
Sur la base de ce constat, l’équation commence donc à se révéler dans toute sa diversité mais aussi dans toute sa complexité. Une équation dont le nombre d’inconnues est, évidemment, depuis quelques semaines, radicalement en hausse.
Comment donc « doser » sa communication pour, à la fois, envoyer des signaux acceptables par l’environnement global tout en gardant la main sur ses messages et, plus important, sur le moral et la capacité à se dépasser de ses équipes ? Et surtout comment y parvenir dans une période où la performance est l’obligation absolue et la seule réponse qui vaille la peine d’être fournie ?
Sans surabonder de formules depuis longtemps vidées de leur substance, nous pensons que la bonne posture pour toute entreprise n’est pas de communiquer moins, mais de communiquer mieux et sans doute différemment. Et communiquer différemment ne veut pas dire pour autant se recroqueviller sur ses doutes et sur ce qui est la chose la plus difficile à combattre pour tout corps constitué : l’absence de visibilité.
Communiquer différemment ne veut pas dire non plus nécessairement faire profil bas, mais bien faire œuvre de clarté, de transparence et de franc parler même avec le peu de certitudes dont on dispose au moment où l’on s’exprime.
Et nous revenons ainsi à l’essence même de notre discipline qui n’a, depuis bien longtemps, rien à voir avec la gesticulation grossière et ostentatoire.
Une crise, quelle que soit son ampleur, est bel et bien un événement exceptionnel qui impacte la vie de l’entreprise et qu’il convient de traiter de la même manière que tout autre événement, heureux ou difficile.
A cet égard une définition du terme ô combien galvaudé « d’événement » nous fournit un éclairage intéressant et, justement, différent. Un événement est, littéralement, « ce qui émerge de la trame ordinaire. Le paradoxal, à côté du continuum temporel ».
On pourrait donc dire qu’il s’agit du point de fusion entre le conjoncturel et le structurel. Et c’est bien ce à quoi nous avons à faire face ensemble cette année.
Dans cette perspective, nous avons l’intime conviction que notre spécialité, ainsi analysée et reformulée, est non seulement un bon outil de gestion des émotions internes et externes, mais sans doute aussi, une arme stratégique de tout premier plan.
Alors, bien évidemment, nous assistons aujourd’hui indiscutablement à un déplacement du curseur émotionnel des opérations qui nous sont confiées. La motivation et l’enthousiasme étaient, hier, les leviers principaux des opérations que nous mettions en œuvre avec et pour nos clients. Aujourd’hui le cœur des missions qui nous sont confiées vise principalement à contrebalancer la crise de confiance globale par un travail très spécifique sur… la confiance. Se démarquer de la morosité ambiante en adoptant une posture certes mesurée, mais par ailleurs claire et sereine, devient subitement un facteur clé de la recherche de différenciation des entreprises.
« La voie du milieu » chère au confucianisme est donc de mise pour notre activité en 2009. Conjuguer discrétion et restauration de la confiance est un immense défi dans lequel nous pensons tout simplement avoir un rôle important à jouer aux cotés de nos clients.
Pourquoi ? Parce que c’est notre métier.
Source : Ludovic Brun et Hugo Jacomet